Lettre à D d’André Gorz

Old couple by John Currin

Le philosophe André Gorz s’est suicidé en 2007 avec sa dulcinée Dorine qui était la destinataire de son dernier livre, »Lettre à D: histoire d’un amour ». Une ode qui débute par ce cri d’amour:« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. »
et s’achève par: « Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible nous avions une seconde vie, nous voudrions la vivre ensemble »

« J’ai eu beaucoup de difficulté avec l’amour, car il est impossible d’expliquer philosophiquement pourquoi on aime et veut être aimé par telle personne précise à l’exclusion de toute autre. A l’époque je n’ai pas cherché la réponse à cette question dans l’expérience que j’étais en train de vivre. Je n’ai pas découvert, comme je le fais ici, quel était le socle de notre amour. Ni que le fait d’être obsédé, à la fois douloureusement et délicieusement, par la coïncidence toujours promise et toujours évanescente que nous avions de nos corps renvoie à des expériences fondatrices plongeant leurs racines dans l’enfance: à la découverte première, originaire, des émotions qu’une voix, une odeur, une couleur de peau, une façon de se mouvoir et d’être,qui seront toujours la norme idéale, peuvent faire résonner en moi. C’est cela: la passion amoureuse est une manière d’entrer en résonance avec l’autre, corps et âme, et avec lui ou elle seuls, nous sommes en deçà et au-delà de la philosophie. »

« J’ai besoin de reconstituer l’histoire de notre amour pour en saisir tout le sens. C’est elle qui nous a permis de devenir qui nous sommes, l’un par l’autre et l’un pour l’autre. Je t’écris pour comprendre ce que j’ai vécu, ce que nous avons vécu ensemble. »

« Avant de te connaître, je n’avais jamais passé plus de deux heures avec une fille sans m’ennuyer et le lui faire sentir. Ce qui me captivait avec toi, c’est que tu me faisais accéder à un autre monde. Ces valeurs qui avaient dominé mon enfance n’y avaient pas cours. Ce monde m’enchantait. Je pouvais m’évader en y entrant, sans obligations, ni appartenance. Avec toi, j’étais ailleurs, en un lieu étranger, étranger à moi, même. Tu m’offrais l’accès à une dimensions d’altérité supplémentaire, à moi qui ai toujours rejeté toute identité et ajouté les unes aux autres des identités dont aucune n’était la mienne. »

« Si tu t’unis avec quelqu’un pour la vie, vous mettez vos vies en commun et omettez de faire ce qui divise ou contrarie votre union. La construction de votre couple est votre projet commun, vous n’aurez jamais fini de le confirmer, de l’adapter, de le réorienter en fonction de situations changeantes. Nous serons ce que nous ferons ensemble. »

« Nous pouvions presque tout mettre en commun parce que nous n’avions rien au départ. Il suffisait que je consente à vivre ce que je vivais, à aimer plus que tout ton regard, ta voix, ton odeur, tes doigts fuselés, ta façon d’habiter ton corps pour que tout l’avenir s’offre à nous. »

5 commentaires

  1. J’apprécie la façon que tu as de présenter un livre: ton avis est présenté d’une façon subtile, je trouve.

    J’adore et je te mets dans mes liens ^^.

    Contente de faire cette connaissance,

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    • Et c’est parti pour l’exploration de l’univers Jigsaw…Concernant Elmandjra j’ai toujours admiré sa vision des choses et je t’avoue que j’ai du mal à accepter son absence du terrain audiovisuel et culturel marocain:(

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