Le Monde à côté, de Driss Chraïbi

«J’appelle  exil l’ouverture à l’Autre, le besoin de se renouveler et de se remettre en question. Les certitudes sont autant de prisons. C’est en solitaire, hors chapelle, et en plein doute que j’ai publié une vingtaine d’ouvrages.» DC                                              Le Monde à côté mérite bien son titre : C’est un roman autobiographique déjanté, chargé d’éclats de rire et de tendresse. Fuyant la conformité, privilégiant la vie, sa passion pour les femmes, Driss Chraïbi y relate son périple, depuis son arrivée en France en 1945 jusqu’à la fin du deuxième millénaire, les rencontres professionnelles, en Alsace, à l’île d’Yeu, au Canada, à Paris, partout où il a vécu et écrit, au confluent des cultures. Ludique et publique, sans fard, le livre se termine par ces mots : «La vie continue. Bonjour la vie !»

Passages choisis

« — Driss Chraïbi, vous pensez en arabe et vous écrivez en français. N’y a-t-il pas là une sorte de dichotomie ?
J’ai vu venir le journaliste. J’aurais volontiers conversé avec lui un petit quart d’heure d’horloge, le temps que nous fassions plus ample connaissance, le temps aussi de dénicher la petite idée qu’il avait derrière la tête et qui devait avoir la forme d’une étiquette. Mais je n’étais pas seul sur le plateau. C’est pourquoi je lui ai demandé poliment :
— Dicho…quoi ? C’est un vocable qui n’entre pas dans la ligne de mes références.
Il m’a expliqué ce que l’on entendait par « dichotomie », les deux pôles d’un aimant qui se repousse en quelque sorte. Je me suis exclamé :
— Ah bon ! mais, monsieur, le plus grand bonheur d’un homme est d’avoir deux langes dans la bouche, surtout si la deuxième est celle d’une femme. Vous ne trouvez pas ?
Comme il ne trouvait pas, j’ai pris mon plus bel accent de travailleur immigré pour désénerver ce cas de figure :
— Si, misiou ! Ji pense en arabe, mais ji trové machine à écrire qui écrit en francés tote seule. 
L’émission a été coupée net, j’ignore pourquoi.»

« Une appartenance ethnique —voire un patronyme— n’est qu’une étiquette du langage, il me semble. Ce n’est pas une identité. L’identité est ce qui demeure primordial le long d’une existence, jusqu’au dernier souffle : la moelle des os, l’appétit flamboyant des organes, la source qui bat dans la poitrine et irrigue la personne humaine en une multitude de ruisseaux rouges, le désir qui naît en premier et meurt le dernier. »

« Je me suis rendu dans tous les lieux de ma mémoire, au Maroc, en France et ailleurs, partout où j’ai vécu et rêvé. Le soir tombe ici ou là-bas. Du ciel perlent les étoiles, peignant du vert de l’espoir dans le ciel est une larme, une âme. Et toutes sont mes larmes, des parcelles de mon âme. Toutes m’ont parlé avec le langage des origines, avec la langue du poème. Lentement, le poème est devenu une musique. Un à un, j’ai pris par la main puis dans mes bras tous les êtres et toutes les choses que j’ai aimés et qui ont disparu. Et j’ai dansé avec eux sous le ciel vert, valsé, valsé en une valse lente, très lente, de plus en plus lente jusqu’à l’immobilité. La vie continue. Bonjour la vie ! »

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Le Monde à côté,  Driss Chraïbi[ 9782070425785] – 80,00Dhs.

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